Rien n’est plus miroitant et insaisissable que la peau mouvante et irisée d’une truite arc en ciel sortant fraîchement de la rivière. Nommée Oncorhynchus mykiss, c’est à cette espèce de salmonidés aujourd’hui très répandue dans les rivières européennes depuis son importation massive à la fin du vingtième siècle que Bruno Silva s’est intéressé.
Dans la Grotte, caractérisée par sa roche brute et végétalisée, il présente un paravent de polycarbonate translucide recouvert de bandes rosées aux reflets d’arc en ciel. Ces transferts répétés de motifs de l’épiderme de la truite instaurent un dialogue étrange avec les modules en plastique, à l’image de l’artifice généré par l’introduction de cette espèce animale dans les rivières françaises. Dans un subtil jeu de transparence, cette sculpture se place à la frontière entre intérieur et extérieur, ombre et lumière, visible et invisible, invitant le spectateur à en faire le tour, et jouant sur les dichotomies inhérentes au statut même de la Grotte dans le centre d’art, un espace entre deux, à la fois naturel et artificiel.
Sur le chemin de la Grotte, plusieurs objets au statut ambigu invitent à s’approcher. D’abord, des pattes en plastique, prélevées sur un bac à sable en forme de crapaud, sont présentées comme des appliques au mur, éléments de décoration des espaces domestiques à la fois pop et étranges. Au sol, c’est Dixie qui nous accueille, un petit chien en terre cuite, animal fidèle qui accompagne l’artiste dans ses expositions. Recouverts de talc et de colle, ces objets récupérés et réappropriés semblent avoir été momifiés: leur surface mate montre des aspérités et leur confère une seconde peau. Érodés, patinés, ils perdent leur matérialité et semblent évoluer vers un nouveau registre, de l’ordre du décor et du pictural.
Au rez-de-chaussée de l’Usine du May, Bruno Silva est invité à poursuivre le parcours de son exposition. Il y investit un espace de circulation, en s’inspirant des aquariums aux couleurs vives, symboles par excellence d’une nature factice et apprivoisée, souvent destinés à décorer les salles d’attente. Des plaques de caoutchouc, supports à impression par transfert, affichent des motifs de végétaux aquatiques aux couleurs acidulées. Face à ces paysages saturés, des cactus — plantes d’intérieur par excellence — exhibent leur peau de mousse en polyuréthane, anéantissant définitivement le vivant au profit du synthétique.
Sur l’exposition mykiss au centre d'art Le Creux de l'Enfer, Thiers, France.
Commissariat et texte: Sophie Auger-Grappin